Opinion | Afghanistan : qui sont les talibans, quelle idéologie prônent-ils ?

  22 Septembre 2021    Lu: 4172
Opinion | Afghanistan : qui sont les talibans, quelle idéologie prônent-ils ?

Par Bénédicte Lutaud

Comment est né ce mouvement ? Qui le finance ? Qui le soutient ? Le Figaro vous explique, point par point, l'histoire des talibans en Afghanistan, depuis leur émergence dans les années 1990, jusqu'à leur retour au pouvoir en août dernier.

Comment est né ce mouvement ? Qui le finance ? Qui le soutient ? Le Figaro vous explique, point par point, l'histoire des talibans en Afghanistan, depuis leur émergence dans les années 1990, jusqu'à leur retour au pouvoir en août dernier.

Qui sont les talibans d’un point de vue ethnique et sociologique ?
D’un point de vue sociologique, les talibans sont des «étudiants de madrassas (écoles coraniques issues du sud de l’Afghanistan, et du Pakistan), qui se sont spécialisés dans le droit islamique», explique le politologue spécialiste de l’islam Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie). «Ce sont donc des juges, ou des juristes islamiques - de niveau plus ou moins élevé - chargés de rendre la justice selon la charia (lois islamiques, droits et devoirs des musulmans, NDLR). Leur obsession, c’est la loi islamique, et de mettre en place des tribunaux - leur spécialité», poursuit le spécialiste.

D’un point de vue ethnique, les talibans sont «issus des milieux pachtounes tribaux du sud de l’Afghanistan. Ils viennent de Kandahar, la ville des émirs de l’Afghanistan, du fondateur jusqu’au président Hamid Karzaï, à savoir le lieu d’origine du pouvoir en Afghanistan. Ils se voient donc avec une légitimité historique», nous explique Olivier Roy. Toutefois, les talibans ne «représentent pas l’aristocratie tribale, mais sont plutôt issus des milieux les plus pauvres, paysans».

Ils dirigent le pays, regroupés sous le régime «Émirat islamique d’Afghanistan», de 1996 à 2001, avant de reprendre le pouvoir en août 2021.

Quand et où est né le mouvement des talibans ?
Après le retrait soviétique d’Afghanistan, en 1989, une guerre civile éclate, notamment de dissensions entre moudjahidines (combattants du djihad) afghans, et de volontaires islamistes étrangers, arabophones notamment.

En 1994, dans la province de Kandahar (sud de l’Afghanistan), un mouvement émerge : celui des talibans. Leurs combattants avaient déjà fait partie de la résistance contre les Soviétiques, dans les années 1980. Leur pays désormais en proie à la guerre civile, ces combattants, également membres du clergé sunnite, «sont scandalisés de le voir sombrer dans l’anarchie, la corruption et le banditisme, raconte le spécialiste Olivier Roy. Ils reprennent donc les armes pour rétablir la loi et l’ordre, en particulier par l’application de la charia. Et cela fonctionne.» S’ils font preuve d’une «justice pénale expéditive en tuant les bandits de grands chemins», les talibans mettent aussi en place une «justice civile pour résoudre les problèmes de partage d’eau, de terres, de vendetta : c’est la base de leur popularité», détaille Olivier Roy.

Au tout début, il s’agit de «petits groupes de dizaines de mollahs qui prennent les armes contre les commandants locaux issus de la guerre civile et leurs abus», poursuit Adam Baczko, chercheur au CERI-Sciences-Po Paris et auteur de La guerre par le droit. Les tribunaux Taliban en Afghanistan (CNRS éditions, 2021).

Mais, rapidement, ces combattants vont étoffer leurs rangs : «Le Pakistan va ouvrir les portes des madrasas (écoles coraniques) du courant deobandi, qui vont devenir un puissant vivier de recrutement, explique Adam Baczko. Les talibans vont passer de quelques dizaines à des milliers, puis des dizaines de milliers de combattants». L’école deobandi est la seule école présente dans les camps de réfugiés afghans du Pakistan, présents depuis l’invasion soviétique de 1979. Au début des années 1990, des milliers de jeunes réfugiés sont alors tentés de rejoindre le projet des talibans.

Au début des années 1990, les talibans bénéficient également d’un fort soutien local des commerçants, notamment des routiers de Kandahar, qui voient en eux une force sûre pour sécuriser leurs routes. En seulement deux ans, les talibans conquièrent alors les trois quarts de l’Afghanistan, de la prise de Kandahar en octobre 1994, à la prise de Kaboul le 27 septembre 1996. Toutefois, le quart nord-est résiste, notamment le bastion du Panchir du commandant Massoud, jusqu’à son assassinat par al-Qaida en 2001.

À quel courant religieux de l’islam se rattachent-ils ?
Les talibans sont des musulmans sunnites, de rite hanafite (la plus ancienne des quatre écoles islamiques sunnites), et plus précisément à l’école de pensée deobandi.

Le courant deobandi est né au 19e siècle contre la colonisation britannique et n’a «rien à voir avec le salafisme», précise Adam Baczko. En réaction à la décision, par les colons britanniques, de faire appliquer le droit britannico-musulman par des juges britanniques, le clergé crée de nouvelles institutions juridiques à Deoband, au nord de l’Inde, «en s’inspirant de l’aspect rationaliste et bureaucratique britannique, tout en prônant un retour aux sources de l’islam. C’est donc un mouvement à la fois rationaliste et ‘bureaucratique’ dans son organisation, et fondamentaliste», détaille Adam Baczko.

Que signifie le mot «taliban» ?
Le mot taliban est le pluriel du mot «étudiant» en persan. Il fait ainsi référence aux étudiants des madrassas deobandi. Plus largement, le mot peut désigner les mollahs (docteur en droit musulman exerçant de hautes fonctions juridiques ou religieuses) ou des étudiants suivants un séminaire en théologie. Il fait également référence à ceux qui ont reçu un diplôme, qui leur confère le turban et le statut d’ouléma (savant).

Quelle idéologie prônent-ils ?
S’il y a eu des échanges d’idées avec le wahhabisme (prônant un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et aux textes les plus canoniques de l’islam), forme de salafisme, les talibans «ne sont pas salafistes», insiste Olivier Roy. «Les talibans n’ont pas d’idéologie spéciale, souligne-t-il. Ils se contentent d’avoir une vision très normative et juridique de l’islam.»

Toutefois, «en tant que juges, ils ont une vision morale de ce qui a causé la guerre, relève Adam Baczko. Pour eux, la guerre n’est pas le résultat d’une géopolitique d’intérêts de grandes puissances, ou de groupes sociaux, mais le fruit de la corruption morale des gens. Pour mettre fin à la guerre civile, il faut remettre les gens sur le droit chemin. Cela explique leur insistance sur la question des mœurs et leur violence. Pour eux, l’adultère n’est pas un problème d’adultère : c’est une menace pour la vie collective.»

Qui est le chef des talibans ?
Les talibans ont toujours eu l’habitude de laisser leur chef suprême dans l’ombre. Le fondateur du groupe, le mollah Omar, menait une vie d’ermite et allait rarement à Kaboul dans les années 1990. Toutefois, sa parole était sacrée et aucun de ses successeurs n’a inspiré le même respect au sein du mouvement. Il aurait vécu de la fin 2001, lorsque les talibans furent chassés du pouvoir par l’intervention américaine, jusqu’à sa mort, dans le sud afghan, tout près de bases militaires américaines, et est décédé de maladie en 2013, bien que d’autres sources affirment qu’il s’était réfugié au Pakistan. Une mort dissimulée jusqu’en 2015 par les talibans.

Son successeur, Akhtar Mansour, officiellement nommé en 2015, est tué un an plus tard dans une frappe de drone personnellement approuvée par Barack Obama.

En mai 2016, Hibatullah Akhundzada, ancien chef des tribunaux islamiques talibans, est nommé pour lui succéder Certains observateurs estiment que son rôle à la tête du mouvement serait davantage symbolique qu’opérationnel. C’est en effet le mollah Abdul Ghani Baradar, «ministre des Affaires étrangères taliban», qui s’impose, depuis leur retour en pouvoir en août dernier, comme le dirigeant «politique» du mouvement. Cofondateur du mouvement avec le mollah Omar, c’est lui qui fut nommé chef de leur bureau politique au Qatar, pour conduire les négociations avec les Américains, menant au retrait des forces étrangères d'Afghanistan, puis aux pourparlers de paix avec le gouvernement afghan, qui n’ont rien donné.

Qui a «créé» les talibans ?
«Les talibans ont été créés par les services secrets pakistanais», soutient Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l'Afghanistan. «Quand le mollah Omar est sorti de sa tanière pour s’attaquer aux bandits de grand chemin au début des années 1990, les services secrets pakistanais ont repéré le mouvement et se sont dit : ‘C’est notre homme’», relate pour sa part Olivier Roy. «Les services secrets pakistanais soutenaient le parti Hezb-eIslami d’Afghanistan de Gulbuddin Hekmaytar, qui a échoué à prendre le pouvoir. Cherchant un nouveau poulain, ils ont proposé à un groupe taliban de faire un test, en s’emparant d’un poste frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. L’opération fut un succès», raconte Adam Baczko.

Par la suite, le Pakistan, dans un intérêt géopolitique et économique, a fourni un «soutien logistique via les grands réseaux de camionneurs - contrebande, marchandises - et des conseils stratégiques, des moyens de communication, au Pakistan. En revanche, pas de tank, d’aviation ni d’artillerie lourde : cela restait très artisanal», précise Olivier Roy.

Qui finance les talibans ?
Seuls, les talibans bénéficiaient de ressources variées, explique Karim Pakzad : «La culture d’opium et d’héroïne et les taxes sur les actions de contrebandes, des impôts, des checkpoints sur certains axes routiers, etc.»

À l’international, toutefois, des «milieux wahhabites et du golfe persique les aident», rapporte Karim Pakzad. «Il y a une émigration pachtoune très importante - des travailleurs immigrés, des étudiants de madrasas - sympathisants avec les talibans dans les Émirats», ajoute Olivier Roy. Plusieurs ONG, basées ainsi au Pakistan, aux Émirats arabes unis ou en Arabie saoudite, collectant la zakat (impôt islamique) pour venir en aide aux veuves et aux orphelins du djihad peuvent ainsi revenir aux talibans, complète, pour Francetvinfo, Georges Lefeuvre, chercheur associé à l'Iris, spécialiste de l'Afghanistan.

Qui arme les talibans ?
«L’Afghanistan a toujours été un dépôt d’armes, depuis la guerre contre l’Union soviétique, explique Karim Pakzad. Dès que les talibans occupaient une base, il leur suffisait de se servir». «L’Afghanistan est un pays où énormément d’armes sont en circulation. La vente par des officiers gouvernementaux afghans, d’armes fournies par les États-Unis existe, soulignait de son côté, sur France Info, le spécialiste Gilles Dorronsoro. Il y a les stocks d'armes multipliés pendant quarante ans de guerre, des Kalachnikov, et il y a également des dons d'armes et des trafics, mais ce n'est pas l'essentiel.»

Avec Le Figaro


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