Cependant, l’approche arménienne de l’histoire se fonde d`une manière sélective sur la souffrance arménienne. Elle déforme les faits de différentes façons et les présente comme un génocide – un crime défini par le droit international – perpétré par les Turcs contre les Arméniens. L`acceptation d`une telle interprétation de l`histoire par les autres est l`objectif national des groupes radicaux de la diaspora arménienne et en Arménie. Les objections légitimes émises contre la narration arménienne, même lorsqu’ elles sont basées sur des études scientifiques et des histoires personnelles, sont taxées de propagande et esquivées, étouffées ou attaquées comme étant « négationnistes ». Cette approche utilise également un langage anti-turc et diabolise l`histoire des turcs et de leurs ancêtres. Dans les années 1970 et par la suite, un tel zèle nationaliste a causé la mort de 31 diplomates turcs ou membres de familles de diplomates turcs ainsi que de 43 autres personnes de nationalité turque ou d`autres nationalités dans des attentats terroristes et a fait un nombre encore plus grand de blessés.
En conséquence, les huit cents années d`histoire de relations turco-arméniennes, fondées dans l’ensemble sur l`amitié, la tolérance et une expérience de vie commune en paix ont été oubliées. A la place, ces relations historiques ne sont plus perçues que sur la base de l`interprétation unilatérale et accusatoire des événements de 1915. Dans un tel environnement, il est difficile pour deux nations de se réunir afin de faire face ouvertement à ce qui s`est passé durant la Première Guerre mondiale, de tirer les bonnes leçons de leur histoire commune et non pas de l`hostilité, et de rétablir leur amitié historique. Par conséquent, la Turquie a pris l’initiative de lancer un processus visant à un dialogue sincère et ouvert avec l`Arménie. L`aboutissement de ce processus ne sera pas seulement dans l`intérêt des deux peuples, mais contribuera également à la paix et la stabilité régionales ainsi qu`à une culture de consensus.
La Turquie ne nie pas la douleur des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale qui a coûté la vie à de nombreux innocents. Cependant, un bien plus grand nombre de Turcs sont morts dans la période précédant la guerre et pendant la guerre. La Turquie, s`oppose à la présentation unilatérale de cette tragédie comme un génocide commis par un groupe contre l`autre, sans pour autant minimiser les conséquences tragiques de cette période.
Les vues de la Turquie reposent sur des documents d`archives disponibles, des recherches scientifiques, l`histoire orale, des dynamiques connues des conflits entre les grandes puissances européennes à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, les effets notoires de l`expansion du nationalisme parmi les différents groupes ethniques qui composaient la structure multinationale de l`Empire et la mémoire collective nationale contenant l`histoire personnelle d`un grand nombre de Turcs. Celles-ci ne coïncident pas avec le récit arménien. Les données existantes font état d`un Empire qui luttait sur de nombreux fronts pour maintenir son existence, de stratégies développées par les grandes puissances européennes à partir des années 1870 avec la manipulation des groupes ethniques pour partager les richesses de l`Empire ottoman dont l`effondrement était prévu, de mouvements de missionnaires opérant avec des motifs politiques sur le territoire de l`Empire Ottoman, de groupes d`arméniens nationalistes radicalisés et armés et d’efforts de certains d`entre eux visant à établir une patrie arménienne ethniquement homogène à l`aide de l`armée d`occupation russe. Le Premier Ministre de l`éphémère République démocratique d`Arménie indépendante et leader arménien de l’époque, Hovhannes Katchaznouni, , a déclaré lors d`un discours prononcé en 1923: « A l’automne 1914, les unités de volontaires arméniens se sont unis et battus contre les Turcs ... Nous n`avions aucun doute que la guerre se solderait avec la victoire complète et définitive des Alliés, que la Turquie serait vaincue et brisée ... »
Le gouvernement ottoman a ordonné en 1915 la déportation de la population arménienne qui vivait dans les zones de guerre ou à proximité de celles-ci vers les provinces ottomanes du sud qui étaient loin des voies de transport de matériel et d`armes de l`armée russe. Certains Arméniens, qui vivaient en dehors de la zone de guerre mais dont on craignait qu`ils soient des collaborateurs ou à propos desquels il y avait eu des rapports dans ce sens, ont également été inclus dans cette déportation obligatoire.
Le gouvernement ottoman a pris diverses mesures pour assurer le transfert en toute sécurité des Arméniens pendant la déportation. Toutefois, un concours de circonstances tels que les révoltes internes aggravées par les conditions de guerre, les bandes locales qui voulaient se venger, les brigands, la famine, les épidémies et un système administratif en agonie (comprenant des personnes qui désobéirent à la chaîne de commandement et furent jugées et condamnées à mort en 1916, par la Cour martiale établie avant la fin de la guerre par le gouvernement ottoman) ont donné lieu à cette tragédie. Il n`existe aucune preuve de la mise en œuvre d`un plan préconçu par le gouvernement ottoman visant à massacrer les Arméniens. De plus, la structure socio-culturelle ottomane n`a eu à aucun moment de l`histoire des tendances racistes qui seraient porteuses d’un crime aussi terrible. Les décès survenus restent tragiques et doivent être gardés en mémoire indépendamment des chiffres et des délits qui pourraient avoir été commis par les victimes. Par contre, la qualification des événements comme « génocide » est problématique du point de vue moral et par rapport à la réalité et d’un point de vue juridique, elle est sans fondement.
Les mémoires nationales sont importantes, mais ne constituent pas à elles seules la réalité. Les mémoires nationales des Turcs et des Arméniens ne concordent pas. Par conséquent, l`établissement de la confiance et l`accès à une base de connaissances communes et fiables sont d`autant plus d`importants. La Turquie a proposé la création d’une commission mixte composée d’historiens turcs et arméniens pour étudier les évènements de 1915 dans les archives de la Turquie et de l’Arménie et dans toutes les autres archives pertinentes de pays tiers puis de partager ces résultats avec l`opinion publique internationale. De plus, les protocoles signés entre la Turquie et l`Arménie en 2009 prévoient « le développement d`un dialogue sur la dimension historique visant à rétablir la confiance entre les deux nations, pour étudier de manière impartiale et scientifique les documents et les archives historiques et établir des recommandations en vue d`identifier les problèmes existants ». Ceci sera l’occasion de passer d’un langage accusateur de conviction nationale à un langage de connaissance objective. Nous espérons que ce travail conjoint qui sera réalisé suite à l’entrée en vigueur des protocoles signés par la Turquie et l’Arménie permettra également l`accès à certaines archives arméniennes qui restent fermés aux étrangers, contrairement à la situation en Turquie. La forte réaction de la diaspora arménienne contre la mise en œuvre de ce processus et la réalisation d`une recherche commune/internationale est révélatrice et donne à réfléchir.
Il est évident que cette question fait l`objet d`un débat académique légitime où se trouvent des deux côtés des historiens respectés. Privilégier et accorder plus d’importance aux vues arméniennes, même par une solidarité bienveillante face à une communauté qui a souffert dans son passé ne rend pas justice au malheur subi par de nombreuses personnes. La compassion accordée de façon sélective devient problématique.
Même si la question possède un puissant aspect humain, c’est la dimension juridique qui est au centre du débat. Le génocide est un délit qui est clairement défini. Ce n’est pas un terme générique qui peut être utilisé pour définir grossièrement tout acte barbare. C`est le plus grave des crimes. Une telle accusation ne devrait pas être laissée à la merci de calculs politiques. En ce sens, les parlements ne devraient pas se substituer aux tribunaux et ne devraient pas statuer sur cette question. De même, les parlements et autres institutions politiques ne doivent pas émettre de jugements concernant l`histoire et en faire un outil politique. Une telle approche est particulièrement problématique lorsque le fond de la question est toujours en débat chez les historiens.
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