Cancer : pourquoi les prix des médicaments explosent ?

  23 Mai 2016    Lu: 562
Cancer : pourquoi les prix des médicaments explosent ?
Les plus grands cancérologues ont dénoncé une explosion du prix des anticancéreux. Et la Ligue contre le cancer a lancé une pétition pour exiger la fin des prix exorbitants.
Entretien avec le Pr Jean-Luc Harousseau, professeur d`hématologie, ancien président de la Haute Autorité de santé pour mieux comprendre cette situation qui menace l`accès aux traitements les plus innovants.

Pourquoi les cancérologues et la Ligue s`insurgent-ils ?

Depuis quelques années sont apparus de nouveaux traitements contre le cancer particulièrement efficaces : les thérapies ciblées et, plus récemment, l` immunothérapie . Ces molécules représentent de véritables progrès. Certaines offrent aux malades des espoirs de survie plus longue et d`une meilleure qualité de vie. Pourtant, le coût, d`abord croissant, et maintenant exorbitant, de ces innovations risque fort de compromettre ces espoirs, mettent en garde les cancérologues. De fait, les traitements qui coûtent 50 000 € par an sont de plus en plus courants.

La hausse des prix est-elle justifiée ?

Les laboratoires sont des entreprises : leur objectif est donc de faire des profits. « Il ne s`agit pas de bloquer leurs bénéfices. Mais aujourd`hui, nous avons le sentiment que les coûts de recherche et de développement ont bon dos et qu`ils ne justifient pas les prix actuels, estime le Pr Jean-Luc Harousseau, professeur d`hématologie. Le prix des médicaments du cancer ne doit pas servir à supporter le coût de la recherche future, ni celui des échecs rencontrés avec d`autres molécules. » De plus, pour les cancérologues, les prix n`ont pas à être fixés au regard d`éventuelles économies sur d`autres postes de santé. Le prix des antituberculeux apparus au milieu du XX siècle n`a heureusement pas été défini en fonction des années de sanatorium et des morts évitées...

Qui fixe les prix des médicaments ?

Les laboratoires retiennent les coûts de la recherche et du développement, qui incluent la recherche de la molécule, les études sur l`animal et sur l`homme. Puis ils prennent en compte le nombre de patients concernés et la durée de vie du produit. Plus le médicament est destiné à peu de patients pour une durée limitée, plus le prix demandé est élevé. Pour les cancérologues, ces prix sont déterminés par l`idée que les industriels se font de ce que les marchés sont capables de supporter. D`où les écarts de prix très importants observés d`un pays à l`autre.

En France, chaque laboratoire négocie son prix avec le CEPS (Comité économique des produits de santé), qui regroupe des représentants de ministères et de l`Assurance-maladie. La Commission de la transparence a auparavant évalué l`intérêt thérapeutique du médicament par rapport aux traitements déjà existants. Et « depuis deux ans, pour les médicaments innovants mais très onéreux, est aussi pris en compte le surcoût par rapport aux traitements existants par année de vie gagnée en bonne santé » , précise le Pr Harousseau.

Comment ces traitements sont-ils pris en charge ?

Aux États-Unis, où les prix sont les plus élevés, certains malades ne sont pas assurés et, lorsqu`ils le sont, ils peuvent avoir à payer une partie de leurs médicaments. En Angleterre, c`est le coût d`une année de vie gagnée qui détermine la prise en charge : au-delà d`un certain prix par année de vie gagnée, les traitements ne sont plus remboursés. Résultat : 17 anticancéreux ne sont plus prescrits. Le régime de santé solidaire dont nous bénéficions en France met pour l`instant les patients à l`abri. Mais pour combien de temps ? , s`alarment les cancérologues . Le quotidien « Le Figaro » cite le cas du centre anticancéreux Léon-Bérard à Lyon qui a décidé de ne plus administrer de Yondelis® à de nouveaux patients atteints de sarcomes rares : le médicament avait été retiré de la « liste en sus », qui garantit un remboursement par l`assurance-maladie. Cela représentait, pour le centre, un surcoût d`un million d`euros pour une vingtaine de patients. Financièrement impossible.

Quelles solutions pour l`avenir ?

Le débat est ouvert et plusieurs pistes peuvent être envisagées. La plus simple, déjà mise en œuvre dans certains pays comme l`Italie et, en France, pour quelques molécules, c`est le paiement à la performance. Si le médicament est efficace chez 40 % des malades, le laboratoire reverse le chiffre d`affaires trop perçu (c`est-à-dire, dans cet exemple, 60 %). Autres possibilités : fixer des prix différents, pour un même médicament, selon son intérêt en fonction des indications différentes ou encore rembourser une étape de traitement (prendre en charge le ou les traitements utilisés à une étape donnée...) Mais nous n`échapperons sans doute pas au débat éthique sur le coût pour la société de quelques mois de vie gagnés chez des patients atteints de cancers très avancés.

Ce que disent les laboratoires

Éric Baseilhac, directeur des affaires économiques du Leem*: Pour le Leem, qui représente les firmes pharmaceutiques, le coût des médicaments innovants s`explique par l`inflation des dépenses en recherche et développement ( R & D) . Plus particulièrement au moment de la phase de développement, c`est-à-dire quand on passe aux études cliniques sur l`homme. « En cancérologie, les dépenses de développement représentent les deux tiers de la R & D, et elles ont augmenté de plus de 10 % par an ces dernières années, notamment en raison des exigences réglementaires vis-à-vis des essais cliniques » , précise le Dr Éric Baseilhac, directeur des affaires économiques du Leem. Sans nier la nécessité d`un débat, pour Éric Baseilhac : « l`arrivée des molécules nouvelles va aussi générer des économies qu`il faut prendre en compte. Par exemple, les chimiothérapies par voie orale permettent de soigner les patients à domicile. »

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