Analyse: Moyen-Orient et la Turquie

  24 Novembre 2015    Lu: 1114
Analyse:  Moyen-Orient et la Turquie
Analyse de Cemil Dogac Ipek sur les insultes de la télévision publique iranienne ciblant les Turcs...
La télévision publique iranienne a récemment diffusé une émission insultant les Turcs. Et les Turcs d’Iran ont tenu des manifestations dans plusieurs villes du pays.

Cela fait quelques semaines que des propos insultant les Turcs ont été diffusés dans une émission pour enfant de la télévision publique iranienne. Dans cette émission intitulée “Fitile , le père et le fils turcs sont gênés par la mauvaise odeur de l’hôtel où ils séjournent et le réceptionniste leur dit que ce sont eux qui ont une mauvaise odeur de la bouche et leur demande s’ils se brossent les dents avec une brosse de toilettes. Ces dialogues ont causé la grande réaction des Turcs qui vivent dans les quatre coins du monde.

Les Turcs d’Iran, qui représentent une communauté de 30 millions d’habitants, signifient l’une des communautés les plus puissantes de l’Iran avec les Farsis et ils jouent un important rôle dans les développements politiques en Iran grâce à leur puissance économique, leur potentiel démographique et leur position socio-culturelle.

La migration en Azerbaïdjan des Oghouzes sous le contrôle de l’Empire seldjoukide aux 10e et 11e siècles a préparé le terrain pour la présence d’une importante communauté turque dans la région. Suite à la fondation de l’Etat safavide en 1501, l’identité des peuples de la région a commencé à changer. Ce régime, mis en place en Azerbaïdjan, a permis à l’Iran d’avoir une importante puissance régionale. Par ailleurs, le Chiisme a été imposé aux peuples majoritairement sunnites. Le Turquisme et le Chiisme ont également continué de préserver leur importance à l’époque des dynasties Afsar et Kacar qui ont pris ces régions sous contrôle.

La dynastie turque qui a régné plusieurs siècles en Iran a pris fin au début du 20e siècle et elle a été remplacée par la dynastie Pahlavi d’origine perse. Ce changement est un important point de rupture de la part des Turcs d’Iran. A l’époque de la dynastie Pahlavi, les Turcs ont connu certains problèmes concernant leur identité. L’idéologie perse acceptée lors de cette dynastie a poussé les Turcs de la région à revoir leur identité et à s’opposer au régime. Ayant joué un rôle considérable lors du processus qui a causé la chute du Chah, les Turcs ont pris place parmi les principaux groupes de la révolution islamique.

De nos jours, les Turcs ont une place influente dans la politique et l’économie iraniennes. Mais la langue turque n’est toujours pas une langue officielle et parfois elle n’est même pas tolérée dans les écoles iraniennes.

Un insecte parlant turc avait été caricaturé par un journal public iranien en 2006. Le même journal avait écrit que la langue de ces insectes ne se comprenait pas et que les Iraniens qui aiment leur patrie devraient tuer ces insectes. La caricature en question a causé une grande réaction dans les villes majoritairement turques, Tabriz en premier lieu. A la suite des manifestations qui ont réuni des millions de personnes, l’Etat iranien a fermé le journal et emprisonné ses responsables pour calmer les manifestations. Mais cette excuse de l’Etat iranien n’a pas été acceptée et les manifestations se sont multipliées.

Plus de 50 personnes ont perdu la vie, des centaines d’autres ont été blessées et des milliers de Turcs d’Iran ont été arrêtés suite à l’intervention des forces armées iraniennes. 10 ans après ces évènements, les Turcs sont de nouveau insultés, ce qui montre que l’Etat iranien n’a pas tiré une leçon de l’histoire. Plus tard, d’autres manifestations se sont tenues à Tabriz, à Ourmia, à Zanjan et à Maragha. “Que la langue turque soit une langue officielle !, nous exigeons l’enseignement en turc !” étaient écrits sur les pancartes que portaient les Turcs. Après toutes ces manifestations, le Directeur Général de la Radio publique iranienne Mohammed Serefraz a publié un communiqué et présenté ses excuses aux Turcs.

Ces dernières manifestations n’ont fait aucun mort mais certains manifestants ont été blessés en raison de l’intervention des forces de l’ordre iraniennes. Contrairement aux manifestations de 2006, celles de cette année ont été suivies par les médias mondiaux et les demandes des Turcs ont été annoncées au monde entier. Bien qu’ils n’aient ni un leader ni une organisation officielle, les Turcs d’Iran ont réagi comme une nation et ont appelé le régime iranien de manière pacifiste à respecter leurs libertés fondamentales.
Le chef du Département des Relations internationales à l’université Giresun, le Dr. Yalcin Sarikaya a récemment accordé une interview à l’Agence Anadolu. Il a noté qu’il n’était pas possible de considérer les Turcs d’Iran comme une communauté minoritaire. Car depuis près de 1000 ans les Turcs jouent un important rôle dans les évènements politiques vécus en Iran. La culture perse et la culture turque sont en interaction en Iran et aussi en dehors de ce pays. Ces deux cultures se contribuent également l’une à l’autre.

Donc elles doivent se respecter pour pouvoir coexister. L’Iran est un pays qui a une culture de gouvernance et l’enseignement en sa langue maternelle et la liberté de presse figurent parmi les libertés fondamentales de nos jours. De ce point de vue, il serait bénéfique que l’Etat iranien réponde favorablement aux demandes des Turcs au sujet de l’enseignement en turc et de la diffusion en langue turque. Cela sera sûrement considéré comme un pas positif pour l’Iran et la stabilité de la région.

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