Azerbaïdjan, pays de contrastes

  29 Mars 2017    Lu: 2112
Azerbaïdjan, pays de contrastes
Il était une fois un pays à l'histoire ancienne et riche. Deux symboles qui, depuis près de 5 000 ans, ont attiré convoitises et jalousies, invasions et oppressions. Les découvertes des pétroglyphes rupestres de Gobustan l'attestent. La muraille de Gilgiltchay tentant d'interdire à l'envahisseur de forcer la porte du pays est en place. L'émir Tamerlan se cassa les dents sur la forteresse d'Alindja.
Pourquoi encore aujourd'huitant d'agressivité? Pourquoi tant de haine que l'air du Caucase respire? La question est dans la réponse quand un pays se contente d'exister alors que les autres qui l'environnent de toutes parts et, souvent de loin, veulent le tailler en pièces pour en acquérir des parties. Surtout quand ses contrastes constituent autant de mises en valeur économique, géostratégique et culturelle.

L'Azerbaïdjan, ce pays entre l'Europe et l’Asie, est appelé parfois la terre de feu. Ce qui signifie qu'il dispose d'une histoire riche datant de milliers d'années et que le feu naturel, qui l'illumine, surgit mystérieusement de la terre. Alexandre Dumas l'avait compris en parlant des feux de mer. Le premier puits de pétrole au monde fut creusé près de Bakou, en 1848, soit dix ans plus tôt qu'aux États-Unis. Le 7° art ne s'y est pas trompé quand « The Oil Gush in Balakhany» fut en 1898 le premier film documentaire produit en Azerbaïdjan et l'un des premiers films dans le monde.


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Au plan civilisationnel, en 1918, comme son nom l’indique, la République Démocratique d’Azerbaïdjan fut construite sur le modèle politique européen de l’époque. On mit ainsi en place un État de droit, avec un Parlement dont le président est aussi le chef d’Etat et un gouvernement avec à sa tête un Premier ministre. Au regard de la Constitution, on peut même considérer que le pays était en «avance» par rapport à beaucoup de pays d’Europe occidentale. En effet, dans la République Démocratique d’Azerbaïdjan, les droits de l’Homme sont garantis. Le droit de vote universel, à la fois pour les hommes et pour les femmes, est institué. C'est une première dans le monde musulman toujours inégalée, comme le symbolise la statue de le femme se libérant du voile de la soumission (photo n°1).


Autre première pour le monde musulman, le régime de la République d’Azerbaïdjan se veut séculier: la constitution établie l’égalité entre les citoyens indépendamment de leur origine ou de leur confession.

État laïque selon la constitution azerbaïdjanaise, l'État et la religion sont strictement séparés. Le voyageur impartial y constate avec plaisir l'éventail des influences religieuses aussi varié que tolérant. La principale religion en Azerbaïdjan est l'islam, implanté dans le pays depuis le VII° siècle. Pendant le XV° siècle, la population azérie fut convertie au chiisme duodécimain. Il en ressort que 93,4% de la population est musulmane, dont environ 85% de chiites et 15% de sunnites. 2,5% des habitants sont russes orthodoxes, 2,3% apostoliques arméniens et le 1,8% restant relève d'autres croyances.


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Ceci dit, si le taux de pratiquants réels des diverses religions est beaucoup plus bas, les communautés musulmanes, chrétiennes et juives, cohabitent pacifiquement sur cette même terre de l’Azerbaïdjan. A la diffé- rence d'autres pays mitoyens, cet esprit anime ces communautés d'un désir de partage, de respect et de dialogue, éclairant ainsi les liens que chaque groupe religieux a tissé avec l'autre. A preuve, la restauration de la plus ancienne église chrétienne de l’Albanie du Caucase, du II° siècle, à Kich sous la houlette de Gulçöhra Hüseyn qizi Mammadova, aujourd'hui rectrice de l’Université d’Architecture à Bakou, en soutien du Norvégien Thor Heyerdahl. Ou encore l'église de Nic, datée de 1681, restaurée et en activité avec une communauté oudi, seule minorité qui se convertit au christianisme, vivant en parfaite harmonie avec celles des juifs et des musulmans.(photo n°2)

Comme tous les pays, l'Azerbaïdjan, lancé dans la voie de la modernité et du consensus, demeure un modèle avec toutes les qualités, mais aussi les défauts inhérents à une évolution menée tambour battant. Des relations internationales équilibrées avec les États-Unis et Israël, qui étonnent les pays de la région, montrent le souci de pragmatisme et de vivre en harmonie avec le reste du monde.

Cet aspect positif des choses ne peut faire oublier la plaie lancinante et douloureuse au flanc du pays : la région du Karabagh occupée illégalement par l'Arménie depuis 1992. Avec plus d'un million d'Azéris chassés devenant des « réfugiés» dans leur propre pays. Le Karabagh est l'une des plus anciennes régions de l'Azerbaïdjan. Le nom de Karabagh, partie intégrante de l’Azerbaïdjan, provient de «gara» (noir) et «bagh» (jardin) en azerbaïdjanais. Le nom «Karabagh» a apparu dans les sources primaires au VII° siècle.

L'Arménie, occupant ce territoire en violation du principe des frontières internationales, est condamnée par quatre résolutions de l'ONU et par le Conseil de l'Europe. Avec la tache du génocide de Kodjaly, reconnu par plus de onze pays et vingt-deux États des USA. Carrefour stratégique des aires d'influence russe, turque et persane, le Karabagh reste une source de tension permanente dans le Caucase du Sud. « Paix impossible, guerre improbable», pour reprendre la formule de Raymond Aron. L'opposition entre Erevan et Bakou semble figée dans un conflit de faible intensité qui ne trouvera d'issue ni politique, ni militaire à court terme. Chaque camp estimant que le temps joue en sa faveur cependant que la Russie, dont l'Arménie est plus que jamais dépendante économiquement et militairement, entretient le rapport de force pour mieux préserver son influence.

Dans cette région du Caucase, s'il est impossible de ne pas parler de tension et de confrontation, il faut aussi évoquer la plate-forme pour la paix, initiative lancée conjointement par des citoyens de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie qui souhaitent contribuer au règlement pacifique du conflit du Karabagh. Cela ne se fait pas sans risques comme ceux que subit la jeune écrivain arménienne Lusine Nersisyan. Mais ces pressions bellicistes ne découragent pas du coté arménien Vahe Avetian, défenseur des droits de l'homme et Vahan Karapetyan, membre de l'Union des écrivains d'Arménie; ainsi que, du côté azéri, Novella Jafaroghlou, présidente de la Société pour les droits des femmes et Rovshan Rzayev, membre de la Communauté azerbaïdjanaise du Haut-Karabagh.

Un soir, au bord de la Caspienne, j'ai fait un rêve : écouter, comme à la chute du mur de Berlin en 1989, le concert improvisé par l'enfant de Bakou, Mstislav Rostropovitch. Entendre son violoncelle à Choucha pour interpréter les Suites de Bach. « Car Bach, c'est Dieu », disait-il. Alors, je saurai que le «mur de la honte» du Karabagh sera enfin écrou lé.

Gérard Cardonne

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