Tous les participants ont disposé de 45 minutes pour se rapprocher de leur but, étant précisé que l’expérience pouvait être interrompue à tout moment. De manière intéressante, le groupe des «bavards» s’est arrêté après 33 minutes en moyenne, alors que les «taiseux» ont utilisé la totalité du temps imparti. Les «bavards» ont par ailleurs déclaré qu’ils avaient le sentiment de s’être rapprochés du but, alors que les «taiseux» ont eu le sentiment inverse. Pour eux, l’objectif était très loin d’être atteint.
Félicitations et regards admiratifs
Comment expliquer ce phénomène? «Lorsqu’une personne parle de ses objectifs avec son cercle social, son subconscient en vient à les considérer comme une réalité», dit Peter Gollwitzer. Autrement dit, parler de ses projets donne l’illusion d’être dans l’action. Cette confusion est imputable pour partie aux félicitations et aux regards admiratifs de notre entourage. Prenons par exemple le cas d’une personne qui annonce à sa famille et à ses amis qu’elle souhaite suivre des études de médecine. Elle récolte aussitôt un tonnerre d’applaudissements qui lui donne ce que les psychologues appellent un «sens prématuré d’accomplissement».
«Tout se passe comme si le fait d’avoir parlé de son idée donnait l’illusion d’avoir fait quelque chose», analyse André Muller dans «La technique du succès» (éditions Diateino). Et puisque nos amis satisfont, à peu de frais, notre besoin naturel de reconnaissance – celui qui annonce qu’il souhaite entamer des études de médecine passe déjà, aux yeux de son entourage, pour un futur médecin – nous éprouvons moins intensément le besoin de devenir ce que nous paraissons.
Le bavardage épuise le dynamisme
A ce phénomène s’ajoute le fait que le bavardage épuise le dynamisme qui doit conduire aux actes. «Lorsque je forme un projet consistant, il s’installe en moi un certain enthousiasme, dit André Muller. Tout se passe comme si je me gonflais de ce projet. Il se crée une sorte de pression. Je me sens comme poussé à faire quelque chose.» Cette pression est bénéfique car elle conduit le sujet à passer à l’action. Parler de ses idées et projets le libère cependant d’une partie de la pression qui l’exhortait à agir. Soulagé, apaisé, vidé de son dynamisme, l’individu qui a perdu son temps en palabres ne fait plus rien.
Les amis sceptiques nous aident-ils à passer à l’action? «Lorsque autrui ne me fait pas crédit, lorsqu’il n’accepte pas de me laisser paraître, en attendant que je sois, je suis découragé aussi radicalement, répond André Muller. En mettant en doute la réalisation de mon projet, il m’incite à en douter. Or l’homme qui réussit est celui qui ne doute pas et qui ne permet pas aux autres de douter.» Il ajoute que de nombreuses personnes trouvent immédiatement, lorsque quelqu’un envisage de faire un projet qui sort un peu de l’ordinaire, trente-six bonnes raisons de ne pas bouger.
Complexes d’infériorité
Ses propos font écho à ceux de Napoléon Hill. «Des milliers d’hommes et de femmes traînent toute leur vie des complexes d’infériorité parce qu’une personne bien intentionnée, mais étroite d’esprit, a détruit leur confiance en eux par ses opinions et ses moqueries.» Autrement dit et comme le relève avec justesse Henri Michaux, celui qui parle de lion à un passereau s’entend répondre «tchipp». Par conséquent, «n’écoutez pas ceux qui n’ont jamais investi ou qui ne sont jamais passés à l’action, conseille Napoléon Hill. En plus de vous décourager ils vous pousseront à… ne rien faire! Vous avez un cerveau et un esprit qui vous sont propres. Utilisez-les et sachez prendre seul vos décisions.»
A noter de plus que, dans certains cas, l’on se décourage tout seul en parlant des obstacles qui entravent la réalisation d’un projet. Honoré de Balzac a exprimé cette idée dans une correspondance adressée à Madame Hanska: «Les grands événements de ma vie sont mes œuvres, et je ne puis vous raconter les difficultés à vaincre les sujets, car alors je ne les ferais pas.»
Ne pas révéler ses intentions précises
Il est cependant des situations où un conseil avisé est nécessaire. Ainsi, l’avis de tiers dotés d’un savoir-faire spécialisé dans le domaine qui nous intéresse peut contribuer à l’édification d’un projet. Napoléon Hill conseille cependant de rester en toutes circonstances très vague sur ses plans et desseins, seul moyen de s’assurer que les interlocuteurs ne s’emparent pas de l’idée ou qu’ils ne la diffusent par simple négligence. «Adressez-vous à qui de droit discrètement, et sans révéler vos intentions précises, (car) si vous parlez trop librement de vos plans, vous aurez peut-être la mauvaise surprise de voir quelqu’un d’autre en profiter.» Il ajoute que certaines personnes, parce qu’elles «vous envient, prendront un malin plaisir à vous faire échouer.»
L’histoire regorge de tels exemples. Cecilia Payne, pour ne citer qu’elle, fut l’un des premiers astronomes à soutenir que les étoiles sont majoritairement composées d’hydrogène. En 1924, elle écrivit un article en ce sens qu’elle fit relire au professeur Henry Russell. Pas convaincu, celui-ci la dissuada de publier sa découverte. En 1929, il la publiera cependant lui-même, en s’attribuant tout le mérite. Moralité: parler, c’est bien. Agir, c’est mieux. (Le Temps)
Tags: