"Je ne comprends pas les tribunaux qui prennent ces décisions: sur quoi se basent-ils? Il est regrettable que l'autorité judiciaire ne suive pas les scientifiques", déclare à l'AFP Liliane Grangeot-Keros, de l'Académie nationale de pharmacie.
"On va aboutir à quoi? Au fait que les gens ne vont plus se faire vacciner", s'inquiète-t-elle, alors que la méfiance envers les vaccins n'a jamais été aussi forte.
Dans ces affaires, deux logiques différentes sont à l'oeuvre.
"Il existe une distinction entre la causalité juridique et la causalité scientifique", explique à l'AFP la juriste Clémentine Lequillerier, membre de l'Institut Droit et Santé à l'université Paris-Descartes.
"La justice cherche ce qui est juste, pour indemniser des victimes potentielles", poursuit-elle. "Ce n'est pas parce qu'on reconnaît un lien de causalité juridique que cela remet en cause la balance bénéfices/risques des vaccins, que les juristes ne sont pas en mesure d'apprécier".
Selon elle, cette distinction doit être "expliquée avec pédagogie" au grand public. Faute de quoi, il conclura de ces décisions que les vaccins sont dangereux.
Le 22 décembre, l'État a été condamné par la cour administrative d'appel de Nantes à verser plus de 190.000 euros à une secrétaire médicale qui avait développé une maladie, la myofasciite à macrophages, après une vaccination contre l'hépatite B.
Elle doit être indemnisée via l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) car son métier rendait la vaccination obligatoire.
Le 23 janvier, la cour d'appel de Bordeaux a jugé le laboratoire pharmaceutique Sanofi "responsable" de la sclérose en plaques d'un homme vacciné contre l'hépatite B en 1996.
Enfin, le 7 mars, l'armée a été condamnée en appel à Montpellier à verser une pension à un ancien militaire qui a contracté une sclérose en plaques après un vaccin contre la fièvre jaune.
- Cas par cas -
Ces affaires ne relèvent pas du même cadre juridique. Dans le cas de l'indemnisation via l'Oniam des dommages consécutifs à des vaccinations obligatoires, "le Conseil d'État a posé un cadre de référence, et si les critères sont réunis, le juge devra reconnaître la causalité juridique", explique Mme Lequillerier.
La situation est différente si les poursuites visent les fabricants de vaccins, comme dans l'affaire de Bordeaux.
"Pour ces cas, il y a eu un basculement en 2008", selon la juriste. La Cour de cassation a alors estimé que même en l'absence de certitude scientifique, une victime pouvait être indemnisée.
Ce raisonnement a été conforté par un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 21 juin dernier. Selon cet arrêt, "des indices graves, précis et concordants" apportés par le plaignant peuvent permettre "de conclure à l'existence d'un défaut du vaccin et à celle d'un lien de causalité" avec la maladie.
Parmi ces indices, la proximité dans le temps entre la vaccination et l'apparition d'une maladie, l'absence d'antécédents et l'existence d'un "nombre significatif de cas" similaires.
Pour autant, la justice européenne estime impossible de lister des critères préétablis permettant de conclure automatiquement à un lien de causalité. Aux juges de décider au cas par cas.
L'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux fait explicitement référence à celui de la CJUE.
Interrogé par l'AFP, Sanofi dit être "toujours en train d'évaluer" s'il se pourvoit ou non en cassation.
Une vague de plaintes a visé les vaccins contre l'hépatite B après une large campagne de vaccinations en 1994, qui a fait naître des soupçons de lien avec des maladies neurologiques comme la sclérose en plaques.
Après plus de 17 ans d'enquête, les juges d'instruction parisiens ont rendu un non-lieu en mars 2016. Motif: l'absence de "causalité certaine" que font valoir les scientifiques.
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